Susheela Raman - Les Saulnières - Le Mans - 18/10/2014

Quitte à se répéter, il faut bien rappeler que la salle mancelle des Saulnières est de très grande qualité. La configuration du soir peut surprendre avec ces chaises ajoutées dans la fosse. Mais sagement posés sur celles-ci, nous profitons d'un son absolument exceptionnel et de jeux de lumières magnifiques. Porté par des passionnés au service du public, ce lieu emblématique de la ville crée aussi une atmosphère conviviale. Les sens en éveil, nous sommes prêts pour un voyage à haute altitude émotionnelle. SUSHEELA RAMAN y est programmée pour la troisième fois. La tour manager du groupe Caroline Saulnier apprécie donc bien la salle des Saulnières! Ce samedi soir, s'y réunit un public qui traverse les générations, mélomanes et musiciens.


Dès 20:40, Meïkhâneh rejoint la scène. Maria Laurent, Johanni Curtet et Milad Pasta nous transportent en Mongolie (souvent), en Iran ou encore en Espagne. Il y a moins d'un an, Johanni a soutenu une thèse d'ethnomusicologie pour laquelle il a eu une mention très honorable. Son sujet était "La transmission du höömij, un art du timbre vocal, histoire du chant diphonique mongol". Il a aussi participé à l'inscription de cet art sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO. 


"Nous avons commencé par les pistes de Mongolie, d’Oulan Bator au Haut Altaï dans l’ouest du pays. D’autres routes, des steppes et d’ailleurs, seront à découvrir ou le sont déjà… en attente pour vos oreilles, vos yeux, vos cœurs !" peut-on lire sur le site de Routes Nomades dont il est le directeur artistique. Cette formule résume bien le voyage musical proposé ce soir. En plus d'être un grand spécialiste du sujet, Johanni Curtet est un incroyable interprète. Il casse nos codes occidentaux d'écoute pour découvrir ce nouvel univers entre timbre guttural et harmoniques plus aiguës. Son jeu de guitare est aussi d'une technique et d'une finesse rare. En solo, en duo avec Milad ou en trio avec Maria, la musique est toujours aussi précise, belle et puissante pour un set de près d'une heure reposant sur leur album La Maison de l'Ivresse. Leur utilisation d'instruments traditionnels est assez captivante. Milad alterne entre la légèreté de l'udu et les notes de basse du tombak. Son daf brille en pleine lumière. Artiste d'origine iranienne, Milad enseigne ces percussions au Centre du Patrimoine de la Facture Instrumentale, au Mans, lieu d'expositions et d'ateliers sur les musiques du monde.


En devant de scène ou plus en retrait avec sa vièle mongol ou morin khuur, Maria est aussi superbe de présence et de voix (dont les notes aiguës donnent la chair de poule) au fil d'une langue souvent imaginaire. Diplômée en musicologie, elle partage aussi sa passion au quotidien en intervenant auprès des enfants. Ne ratez pas non plus les prochains spectacles de Maria, Mélanie, Gaëlle et Milad au sein de Portotrio.


Ce concert de Meïkhâneh a diffusé des vibrations très apaisantes et émouvantes. On tarde à reprendre nos esprits quand le concert de Susheela commence. En effet, son entrée en scène est un peu déconcertante. Son guitariste Sam Mills termine ses réglages puis se lance sur le premier morceau. Certains spectateurs tardent à reprendre leurs sièges. Il y a quelques bavardages. Ce climat nuit quelque peu à l'ambiance intimiste que les musiciens souhaitent installer. Le titre North Star du nouvel album manque aussi un peu de relief pour décoller totalement même si le chant est si personnel, juste et touchant. Pour être honnête, il faut l'arrivée sur scène du chanteur et violoniste Kartik Raghunathan pour que le concert se lance réellement. Le rythme insufflé par Arif Durvesh au tabla est aussi très précieux pour élargir la palette musicale. Revenons à la performance vocale impressionnante de Kartik. Celui-ci accompagne Susheela Raman sur scène depuis quelques années et fait vraiment honneur aux morceaux enregistrés par d'autres artistes sur les disques de la chanteuse. Sa voix se marie à merveille à celle de Susheela (Sajana) et on atteint déjà le nirvana sur Riverside.


L'artiste répète qu'elle est très fière de son nouvel album qui constitue la quasi-totalité de la setlist. En effet, Queen Between, publié plus tôt cette année, est sûrement son meilleur disque. Il réussit à mélanger parfaitement la musicalité de la langue anglaise aux rythmes orientaux. La richesse des arrangements world n'empêche pas de proposer des refrains très efficaces. Sur scène, le tout est rythmé par une belle énergie "rock" quand la guitare mène le bal. Susheela Raman vit sa musique et certaines expressions ou certains regards sont troublants d'authenticité. Si Sharabi signifie "alcoolique", le public est totalement enivré par cette musique qui nous transporte dans la voix lactée ou nous garde au chaud près des éléments, la terre, l'eau, le feu mis en lumière et en musique. Nous sommes littéralement en orbite pendant l'enchaînement incroyable Taboo, Queen Between et Corn Maiden. Les morceaux sont étirés, nous aspirent vers d'autres expérimentations avant de nous relâcher en apesanteur sur des mélodies familières. Enfin, Susheela nous encourage à nous lever pour Corn Maiden. D'un coup de main, elle tisse une couronne de ses cheveux indociles. "Dance Dance Dance I will follow you" répète-t-elle. Nous sommes nombreux à vouloir la suivre au bout du monde. En 2007, l'artiste avait publié '33 13, un joli album de reprises mais n'y figurait pas la cover interprétée en rappel, Love You To des Beatles. Ce titre fut écrit par George Harrison pour l'album Revolver (1966). Le guitariste avait diffusé sa passion pour la culture indienne dans ce titre qui colle donc parfaitement au répertoire de Susheela Raman. Le groupe termine sur un morceau plus calme extrait du premier album Salt Rain. Malgré tout, il nous faut de longues minutes pour redescendre sur terre. Pendant ce temps, les musiciens sont déjà en train de dédicacer des exemplaires de Queen Between, album indispensable.


Photos : Stéphane Duarte
Texte : Cyrille Blanchard

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